Abstracts 2014

Résumés des communications

 

Danièle Dubois (CNRS & INCAS3) et Matt Coler (INCAS3)

Le son pris aux mots ou les mots aux prises avec le sonore ? Question de méthodes ?

Sounds, languages and meanings: Ontologies or Umwelten?

 

Nous présenterons nos recherches concernant les ressources linguistiques (non exclusivement les mots) utilisées pour décrire « le sonore » et comment ces ressources sont associées à la diversité des conceptualisations des phénomènes (/auditifs/acoustiques). On partira d’exemples de « données verbales » recueillies dans le domaine de la sensorialité (et plus particulièrement le domaine du sonore) à trois niveaux d’analyse linguistique : 1) au niveau des mots : à partir de l’exemple du mot soundscape et de ses différentes traductions dans des langues d’Europe qui nous conduit à contraster les langues germaniques, slaves et romanes qui orientent différentiellement vers une conception 3D d’ambiance ou frontale (2D) de paysage (sonore) (Dubois 2012) ; 2) au niveau des énoncés et du discours : on repèrera la variabilité du sens des mots anglais sound et noise dans l’analyse contrastée de deux types de textes de deux communautés d’acousticiens travaillant soit à la réduction des nuisances vs dans le domaine plus récents « soundscapes » (Neissen et al.2013) ; 3) au niveau des langues : nous associerons ces analyses linguistiques à des inférences cognitives (psychologiques) relatives aux catégories sémantiques auxquelles les catégories linguistiques réfèrent; A partir d’une analyse comparative des ressources d’une langue amérindienne (Aymara) pour parler du sonore (Coler, 2014), nous discuterons l’exemple de la catégorie lexicale « adjectif » largement associée dans notre tradition à la description des qualia du monde physique et ainsi porter davantage attention à la diversité des procédés linguistiques des langues qui traduisent nos relations sensibles au monde.

En conclusion nous définirons un positionnement théorique qui permet de rendre compte de ces données et de dépasser l’opposition ontologique entre objectivité vs subjectivité, en récusant l’idée que les mots « ont » un sens (vrai) (en sémantique lexicale) et en introduisant le concept de Umwelt (emprunté de l’éthologie) dans la recherche en sciences cognitives.

Nous terminerons en discutant des conséquences méthodologiques de ce positionnement en psychologie et linguistique cognitives pour une approche pluridisciplinaire de l’étude des variations culturelles des relations entre les stimulations acoustiques, les catégories auditives et leurs expressions respectives en langues.

In this talk we look at linguistic resources for describing sounds or sonic “things”, and describe how those resources relate to a diversity of conceptualizations. We exemplify this with empirical work in sensory studies, with focus on the acoustic/auditory domain, at three linguistic levels: (1) lexical level – resources for soundscape in Germanic vs Romance vs Slavic languages and resultant 2D vs 3D conception of sound (Dubois, 2012); (2) discourse level – we relocate the variability of word meaning in English in different discourses in the contrasted analysis of text relating to sound/noise in different academic communities (noise annoyance vs soundscape; viz. Niessen et al., 2013); (3) language level – we connect linguistic analyses with cognitive (psychological) ones in developing inferences on semantic categories to which the languages refer. Through a comparative study of the resources available to the Amerindian language, Aymara (Coler, 2014) to talk about sound and, the linguistic concept of adjective (as highly associated in our tradition to the description of some qualia of the (physical) world), will allow to discuss the actual diversity of the linguistic resources that the diversity of languages provide to speak about sensory relations to the physical world. Finally, we define the theoretical positions that account for these data, overcoming the ontological opposition between objectivity and subjectivity in considering no longer that words “have” (a true) meaning (in linguistic semantics) and introduce the concept of Umwelt, (borrowed from ethology) into (human) cognitive research. Methodological consequences of this positioning in linguistics and psychology will be discussed regarding a pluridisciplinary approach of studies investigating the cross-cultural variations of the relations between acoustic stimulations, auditory categories and their respective expressions in languages.

 

Références

Coler, M. (2014). A Grammar of Muylaq’ Aymara. Leiden: Brill.

Dubois, D. (2012) Dénommer, definer, Identifier, décrire une ambiance. Naming, defining, identifying, describing an “ambiance”. A semantic analysis of the word “soundscape”, Conférence sur les ambiances sonores (Montréal, sept 2012)

Niessen, M., Cruys, T. Cance, C. & Dubois, D. (2013) Sound and Noise in Sonic Environmental Studies: Comparing Word Meaning in Discourses of Community Noise and Soundscape Research, Acta Acustica united with Acustica, Vol. 99 (2013).

 

 

Christine Guillebaud (Anthropologie/Ethnomusicologie, CNRS, LESC UMR 7186, Univ. Paris Ouest Nanterre)

Le réseau sémantique du « sonore » : théorisations rituelles en Inde

Cette communication portera sur les théories du son associées à différentes pratiques rituelles observées en Inde. Elles concernent d’une part, les concepts en usage dans l’hindouisme « classique » pour décrire le son, ses modalités de production et ses effets ; d’autre part, les formes de catégorisation des sonorités en usage dans les cultes (deva/asuric) s’appuyant sur des critères à la fois acoustique et spatial ; et enfin, les commentaires relatifs au processus de l’écoute et à ses effets inhérents de transformation (cas des pratiques de « réveil » tuyil unarttu’). S’il semble vain de rendre compte d’une théologie sonore unifiée, nous tenterons d’identifier les différents critères à l’oeuvre pour le dire, le décrire, le catégoriser, en analyser les modalités de perception et enfin lui attribuer une efficacité.

Andrea-Luz Gutierrez Choquevilca (Anthropologie, EPHE, LAS/Collège de France)

L’animisme et la voix. De la communication interspécifique chez les Runa d’Amazonie 

 

Cet exposé propose d’explorer les principes de catégorisation des sons et de la voix, à partir d’une analyse linguistique de la terminologie employée pour décrire les sons et les actes de communication interspécifiques qui émaillent la vie quotidienne et rituelle des peuples quechua Runa d’Amazonie péruvienne. Puisant dans les ressources propres de leur langue (en particulier l’expression idéophonique), les Runa n’ont de cesse, dans la chasse au gibier arboricole tout comme dans les rituels chamaniques, de transcrire le langage animal, la voix des esprits et les évènements saillants du monde dans lequel ils évoluent. Les Runa repèrent ainsi une échelle graduelle allant des « sons » uyarihushkata – pour les uns corrélés implicitement à des « voix », pour les autres, attachés à des indices plurisensoriels (d’ordre visuel, tactile, ou olfactif), aux « chants » articulés faisant l’objet d’une complexification formelle et d’un enrichissement sémantique. On observe à travers ce continuum une schématisation emic de la perception sonore : dans le contexte d’une interaction définie, la perception d’un son peut autoriser un certain nombre d’inférences concernant l’attribution d’une perspective mentale et d’une intention communicative à des agents non-humains. Nous examinerons les points d’articulation possibles entre cette conception amérindienne de la communication sonore – sous ses multiples aspects : criés, sifflés, chantés etc.- et l’ontologie animiste qu’elle sous-tend.

 

 

 

Guillaume Loizillon (Musicologie, Univ. Paris 8 St Denis, E. A. 1572 EMDCM)

Travailler en studio : un atelier ou une salle d’opération?

Le travail du son en studio se consacre par essence au son entendu via le haut-parleur. C’est un lieu tout à la fois d’invention et de normalisation, deux attitudes qui dénotent les jeux de tension qui  traversent les différents usagers de cet espace. Objet de technique et d’expression , le son est ici présent comme un être sous observation, en cours de traitement. Ainsi, tout un vocabulaire spécifique sous-tend les modes d’écoute particuliers du travail du studio ; nous nous proposons d’en examiner les grandes catégories.

 

Rosalia Martinez (Anthropologie/Ethnomusicologie, Univ. Paris 8 St Denis, LESC UMR 7186)

Parler du son dans les Andes

Dans cette région du monde, une partie importante de la terminologie utilisée pour parler des sons, qu’ils soient musicaux – c’est-à-dire faisant partie de ce que l’on considère localement comme « musique » – ou pas, est multisensorielle. Elle renvoie à d’autres sens, et particulièrement à l’univers visuel. Au premier abord, certains termes proviennent de l’expression textile, mais quelques données ethnographiques montrent que ces termes sont également mis en relation avec des éléments de l’environnement « naturel » : phénomènes météorologiques, configurations topographiques ou aquatiques… Il s’agira donc d’explorer cette terminologie afin de mettre en lumière ce qu’elle peut nous dire sur la conception indigène du son dans ses rapports à l’existant.

 

 

Stéphane Rennesson (Anthropologie, CNRS, LESC UMR 7186, Univ. Paris Ouest Nanterre)

Parole de bulbul. Du délicat arbitrage des concours de chant d’oiseaux en Thaïlande

 

La Thaïlande, surtout sa région sud, est le théâtre de nombreux concours de « chant » d’oiseaux comme le Bulbul Orphée et la tourterelle zébrée. Ces compétitions très populaires se construisent autour de procédures d’évaluation passionnées et disputées qui incombent à des juges-arbitres coincés entre plusieurs centaines de volatiles et autant de propriétaires. Pour officier, ils  se basent essentiellement sur des systèmes de transcription des vocalises aviaires. Le découpage syntaxique de « phrases » en « mots » ainsi que la mise en place d’une série de critères comme le rythme, la longueur du premier et du dernier « mot », la tessiture, la variété des « morphèmes », le ton et la qualité de la voix ont vocation à remédier à la difficulté  évidente de qualifier et de comparer des phénomènes insaisissables dont l’appréciation est  profondément attachée à la sensibilité de tout un chacun. Les critères esthétiques ne sont d’ailleurs pas exclus de la grille de comparaison. On se demandera si cette neutralisation inaboutie de la subjectivité à l’œuvre n’est pas seulement inévitable en la circonstance mais aussi tout à fait souhaitable pour assurer une certaine fluidité  au jeu. En comparant brièvement les cas de deux oiseaux dont les vocalises appartiendraient selon l’éthologie à des genres  d’expression sonore très différents, les tourterelles n’étant censées savoir seulement crier tandis que les Bulbuls sauraient eux chanter, nous poserons la question de l’opportunité de la transcription et de l’application de critères musicaux tout en replaçant leur mobilisation dans le contexte de la relation triadique oiseleurs-arbitres-oiseaux et de ses enjeux.

Makis Solomos (Musicologie, Univ. Paris 8 St Denis, E. A. 1572 EMDCM)

Analyse et description du son dans la musique électroacoustique

 

Le son se présente de plus en plus comme la catégorie générale, la « musique » devenant un cas particulier… La musique dite électroacoustique (concrète, électronique, etc.) est sans doute la première musique à avoir attesté cette mutation décisive. Dans la mesure où cette musique se pratique souvent dans un contexte de recherche, elle a aussi été accompagnée, tout le long de son histoire, par d’importants efforts de théorisation. Une grande partie de ces efforts ont souvent porté sur l’analyse et la description du son (des sons). Dans cette présentation, on proposera une synthèse des travaux qui vont de Pierre Schaeffer à Denis Smalley, en s’interrogeant également sur la notion même de son – qu’est-ce qu’on son, peut-on détacher un son de son contexte ?

 

 

Alexandre Vincent (Histoire, Univ. de Poitiers, EA 3811 HeRMA)

Ecouter le silence par les mots : lexicographie du silentium romain.

 

Les historiens de l’Antiquité peuvent-ils s’intéresser aux phénomènes sonores ? L’absence de tout enregistrement des sons du passé rend la question légitime. Pourtant la réponse ne saurait être que positive. Artefacts archéologiques et, surtout, textes anciens forment un riche matériau sur la question. Ainsi, le rassemblement des occurrences d’un terme relatif au son peut permettre, passé au crible de l’enquête lexicographique, d’accéder aux réalités sonores disparues, pour autant que l’on puisse séparer la réalité ancienne de la gangue textuelle qui nous en a transmis l’existence.

Au cours de cette communication, je m’efforcerai de développer cette méthodologie autour de la notion de silence dans la civilisation romaine. Une analyse contextualisée de l’usage du terme silentium permet de souligner combien la notion pouvait recouvrir des réalités sonores différentes, certaines particulièrement bruyantes.