Vincent Battesti
(CNRS, Laboratoire Ecoanthropologie Ethnobiologie, MNHN Paris)
Peut-on faire une ethnographie sonore du Caire ?
Peut-on faire l’ethnographie sonore du Caire, des ambiances sonores de ses quartiers?
Les usagers acteurs de la capitale égyptienne sont des émetteurs/récepteurs sonores: ils ne subissent pas (seulement) une “pollution sonore” (nous verrons s’il est adéquat d’user de cette expression), mais ils participent, volontairement ou non, aux ambiances sonores. Ces ambiances sonores sont donc non seulement une résultante des activités menées au sein de la ville (définition passive), mais également une construction collective plus ou moins volontaire (définition active). Au sein du Caire et de sa « gangue sonore », les divers territoires de la ville possèdent dans le tissu urbain de la mégapole leurs identités spécifiques attribuées par les citadins, leur ambiance. Loin de ne tenir que de l’anecdote, d’un simple arrière-plan sonore, l’ambiance est la qualité première invoquée par les citadins pour expliquer leur déambulation ici et non pas là dans la ville, justifier leur appréciation des espaces. L’ambiance, dont sa composante sonore, devient une part objectivée de la « beauté » d’un espace urbain. La signature sonore des quartiers est analysable, décomposable (inventaire des différents bruits), mais c’est aussi une écoute d’ensemble qui offre sens. Ces ambiances sonores ne sont pas le fait du hasard, elles sont des productions sociales et s’organisent sur la forte structuration sociale de la société égyptienne. Nous verrons que l’ethnologie peut avoir prise sur cette curieuse “matière de l’instant” au filtre d’une grille d’analyse en exploitant des exemples essentiellement du centre-ville moderne du Caire et des quartiers populaires de la vieille ville fatimide, en s’appuyant également sur la situation toute récente et nouvelle d’une Egypte en révolution.
Pierre Albert Castanet
(Compositeur et musicologue, Professeur à l’Université de Rouen)
Pour une histoire de la bruitologie
Des tempêtes baroques aux concerts futuristes, des récitals pour percussions aux ambiances sonores de Noisy Pop, des silences de John Cage aux expériences environnementales de Max Neuhaus, le bruit est partout… Entre ordre et désordre, il cherche noise au musical.
Alain Corbin
(Centre de recherche en Histoire du XIXe siècle, Paris)
L’histoire du sonore, élément d’une histoire et d’une anthropologie sensorielles : état des lieux
Depuis un quart de siècle, une histoire et une anthropologie sensorielles se sont construites. Les facettes en sont multiples. Certains travaux ont été consacrés à l’inventaire des sons et des bruits dans le cadre d’un territoire ou d’une société donnés ; d’autres aux modes d’émission des messages et à leur éventuelle esthétisation. Les plus neufs, sans doute, se sont focalisés sur le sens des messages – lors de leur émission et lors de leur réception -, sur l’attention qui leur a été prêtée, sur les normes et les disciplines qui ont contribué à les ordonner ; tout ce qui précède contribuant à nourrir des études sur le paysage et le territoire sonores et, dans une même perspective, sur le sens du silence. Les anthropologues, quant à eux, ont aussi analysé avec précision la position de l’ouïe dans la hiérarchie sensorielle et les correspondances qui ont lié les messages relevant de l’audition à ceux des autres sens. Mon intention serait de rappeler l’historicité, la flexibilité de tous ces éléments de l’objet évoqué et de souligner que les recherches et l’exposé des résultats qui lui ont été consacrés participent au “sensual turn” que David Howes détecte dans le cours de la discipline historique ou, si l’on préfère, à l’histoire de l’émotion, aujourd’hui en plein essor.
Danièle Dubois
(CNRS, Langages Cognitions Pratiques et Ergonomie/LCPE, Lutheries Acoustique Musique/LAM, Institut Jean le Rond d’Alembert, Paris)
Contribution de la linguistique et de la psychologie à une anthropologie des milieux sonores : concepts et méthodes
Dans un premier temps, je ferai part de mon expérience de recherche sur les « milieux sonores » en particulier l’évolution de la recherche en acoustique, depuis une quinzaine d’années, d’une problématique de « réduction des nuisances sonores » à celle de l’évaluation de la qualité des « soundscapes », et donc sur un positionnement susceptible de converger avec les questionnements anthropologiques. Mon travail s’inscrit en psychologie et en linguistique cognitives et vise à identifier les catégories sémantiques qui, à partir des différentes modalités sensorielles, et plus particulièrement du sonore, constitue l’expérience sensible de l’espace urbain. Dans un second temps, je présenterai quelques méthodes que nous avons développées concernant à la fois les modes de questionnement et le recueil des « données verbales » ainsi que leur traitement permettant l’identification des constructions cognitives individuelles et partagées relatives aux milieux sonores. En conclusion, j’aimerais contribuer à expliciter les modes de gestion de la pluridisciplinarité intra SHS (en particulier des différents courants cognitifs et des domaines de l’anthropologie) comme entre le domaine des SHS et celui des sciences physiques (mécanique, acoustique et traitement du signal).
Olivier Féraud
(Laboratoire d’Anthropologie Urbaine/LAU-IIAC, Ivry-sur-Seine)
Présences vocales napolitaines
L’ethnographie de la vocalité quotidienne dans un quartier populaire de Naples nous montre que l’approche anthropologique des environnements sonores urbains ne permet pas de parler en termes de “paysages sonore” (au sens d’un paysage se contemplant de loin au même titre qu’une carte postale ou un panorama). En observant les manières de faire liées aux actes de voix, la rue apparaît comme un espace d’interactions multisensorielles mettant en jeu, de manière globale, des dimensions sonores, visuelles et des formes de relations sociales. Dans l’enceinte du quartier, la voix – quelle soit appel, conversation, cris de marchands ambulant, ou toute autre communication à distance – constitue un environnement sonore quotidien. La rue, dans son aspect sonore, présente alors non pas comme un paysage donné à entendre mais, selon l’enseignement de Tim Ingold (2008), comme un environnement immergeant dans lequel on écoute (“we hear in”).
Christine Guillebaud
(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie / CREM-LESC, Université Paris-Ouest Nanterre)
Voix et dispositifs sonores : étude de quelques espaces publics en Inde
Les espaces publics des villes en Inde peuvent, au premier abord, donner l’impression d’un vaste chaos sonore. Gares, arrêts de bus, marchés, quartiers populaires et résidentiels, sont en effet le lieu de productions acoustiques très denses. A y regarder de plus près, chaque lieu porte des spécificités, laissant entrevoir des logiques d’organisation complexes mêlant des contraintes perceptives et spatiales, et des formes d’interactions sociales. Pour tenter de les saisir, cette présentation s’intéressera à certains artisans du son ambiant : marchands ambulants, vendeurs de tickets de loterie, restaurateurs etc. qui ont développés leurs propres dispositifs vocaux et/ou techniques dans le but de capter l’attention des passants, leurs potentiel clients. On s’intéressa à leurs vocalités ainsi qu’aux dispositifs qu’ils utilisent pour rendre saillantes leurs activités au sein de milieux sonores généralement sursaturés d’un point de vue acoustique et sensoriel. À partir d’enregistrements et de vidéos effectués sur le terrain, on questionnera les modalités structurelles et perceptives de ces productions sonores, tout en esquissant les enjeux anthropologiques de ces interactions publiques.
David Howes
(Professor of Anthropology, Director of the Concordia Sensoria Research Team /CONSERT, Concordia University, Montreal, Canada)
Sounds and Senses (Les sons et les sens)
This paper will describe the groundbreaking contributions of R. Murray Schaffer and Marshall McLuhan to the development of the field of the anthropology of sound, and the anthropology of the senses generally. They introduced the notions of “soundscape” and “schizophonia” (Schaffer), “acoustic space” and “sense ratio” (McLuhan). It will go on to offer a critique of these concepts in light of the author’s own research on “oral-aural” cultures in two regions of Papua New Guinea. The paper will conclude with a discussion of the notion of “intersensoriality” as key to future research in the field.
Bruno Messina
(Directeur de l’Agence Iséroise de Diffusion Artistique/Festival Berlioz, Professeur d’ethnomusicologie au Conservatoire de Paris/CNSMDP)
Tiers-musical et paysages sonores du Dauphiné/Berlioz
Quand il s’agit d’analyser l’œuvre de Berlioz, il y a comme un malentendu : les commentateurs restent dans le champ connu de la tradition écrite et du commentaire analytique classique, aussi brillant et audacieux soit-il, et n’associent aucun son, pas même l’idée d’un son, aux images (romantiques) du Dauphiné de ce début du XIXe. Il est sans doute plus évident en effet de partir du connu, d’ajouter de la forme (écrits, instruments retrouvés, cours de musique, premières partitions…) à la forme (œuvre close du compositeur) ou de se contenter d’oppositions binaires (savant/populaire, oralité/écriture…) que d’utiliser une notion aussi vague que celle de paysage sonore, qui plus est disparu et donc à reconstituer. Pourtant, ne serait-ce d’abord par ce tiers-musical que nous devrions commencer ? Quelques étapes d’une recherche commencée dans la campagne javanaise (sons des marchands ambulants de Java central), transposée à d’autres lieux, d’autres époques, et passant désormais par le Dauphiné et la formation sensible d’un compositeur romantique dans la France rurale du XIXe…
Pierre Redon
(Artiste, Faux-la-Montagne)
Marches Sonores: l’écologie humaine comme trame du sensible
Les Marches Sonores sont des projets hybrides, qui tissent la parole des habitants, le son, la cartographie et le corps du marcheur muni d’un baladeur sonore pour vivre une nouvelle expérience des lieux. Actuellement, mes recherches sont tournées vers l’écologie que j’utilise comme processus créatif basé sur l’interaction. Je me fascine pour la façon dont l’homme vit dans son milieu, et dissocie l’écologie humaine effective -la relation concrète au milieu- de l’écologie culturelle ou de représentation -la capacité à conceptualiser la vie dans le milieu- pour mener mes investigations de terrain. Cette perception de l’écologie se détache des problématiques environnementales actuelles pour une nouvelle perception du milieu définie comme une écologie ou une anthropologie du sensible. Appuyée par des exemples sonores et visuels, cette présentation montre les Marches Sonores comme des œuvres ouvertes où le langage s’offre dans une forme magmatique qui dépasse le discours. Le marcheur est alors la surface de réception et de reformulation du résidu fragmentaire de l’expérience offrant une autre forme de perception ou de connaissance.
Vincent Rioux
(Pôle numérique, ENS Beaux-Arts, Paris)
Présentation technique Pour la description et la synthèse d’environnements sonores : Carnets et Petits Objets Multimédias
La conjonction des techniques d’enregistrement et de la micro-informatique a littéralement transformé nos conditions d’écoute. Elle a considérablement modifié les modalités d’accès aux sources enregistrées (archivage, bases de données), a rendu accessible un certain nombre de procédés d’analyse (forme d’ondes, spectrogrames, cartographies) et a révolutionné les démarches de recréations par synthèse (montages, mixages). Loin de vouloir dresser un panorama précis d’un vaste domaine aux contours mouvants, cette communication se focalisera sur une approche d’analyse/synthèse des milieux sonores fondée sur de simples annotations textuelles. L’ordinateur étant dans ce cas plus utilisé comme un “super-magnétophone” que comme une “oreille artificielle”. Au-delà du temps de la captation, il s’agira d’analyser de manière comparative les types de discours et attitudes s’y référant. Nous proposons en effet de porter une attention particulière à ce qui se dit à l’écoute des milieux ou des enregistrements de ces derniers. On présentera à cette fin un outil informatique nommé e-sonoclaste (initié par l’auteur) dédié à l’annotation textuelle de corpus multimédia et particulièrement adapté à la description verbale d’environnements sonores. D’autre part, on abordera l’aspect synthèse par une expérience en termes de montages sonore et photographique au sein de documents dénommés POMs (Petits Objets Multimédias).
Jean-Paul Thibaud
(CNRS, Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain/CRESSON, Ambiances architecturales et urbaines, Grenoble)
L’ordinaire du sonore, ou comment écouter le monde ambiant ?
Cette intervention présentera diverses approches méthodologiques permettant de documenter le monde sonore ordinaire et rendre compte par l’écoute du monde ambiant. Tournée délibérément vers des démarches qualitatives, il s’agira de s’intéresser aux environnements sonores du quotidien, au-delà des démarches en termes de bruit, de musique ou de parole. Ce bref panorama des méthodes d’approche in situ donnera l’occasion de questionner l’apport et l’originalité du sonore dans l’étude des pratiques, des sociabilités et des lieux urbains.
Corsin Vogel
(Artiste – compositeur, Paris / Mathon (Grisons, Suisse)
Un art sonore situé
Depuis une dizaine d’années, je compose de la musique électroacoustique et crée des installations sonores toujours fortement liées aux lieux, à leur temporalité, à leurs habitants, leurs activités, leurs coutumes… Utilisant exclusivement le matériau sonore que j’enregistre sur place, il s’agit de réinterpréter ces formes sonores pour mettre en avant leur musicalité ou pour leur en conférer une nouvelle. En d’autres termes, proposer une écoute radicalement différente de ces sons du quotidien perçus généralement comme fonctionnels ou gênants. Dans ces univers perceptifs qui cheminent entre musicalité, environnements sonores concrets et références littéraires, les sensations de spatialité et d’immersion de l’auditeur sont primordiales. Ma démarche artistique repose en partie sur mes travaux de recherche sur la perception des ambiances sonores urbaines menés au Laboratoire d’Acoustique Musicale (Université Pierre et Marie Curie, Paris). M’appuyant sur quelques exemples précis, je présenterai ce travail et l’élaboration de mes créations sonores situées.